Véhicules publics pleins à craquer, passagers mal à l'aise dans des espaces peu commodes, conducteurs sur les nerfs, voilà l'image caricaturale d'un pan de l'économie informelle qui engrange pourtant des sommes colossales.
Haïti: Une enquête sur le transport collectif en 2004-2005 dans l'aire métropolitaine, menée conjointement par le ministère de l'Économie et des Finances et l'Institut haïtien de statistiques et d'informatique (IHSI), estime à quelque 16,660 milliards de gourdes les sommes générées par nos routiers durant cette période, soit 98,4% de la production totale dans ce secteur d'activité. A titre de comparaison, les caboteurs n'en glanent que 1,6%.
Avec la rentrée scolaire, les embouteillages et la bousculade - constantes de notre environnement urbain - ont repris du service, avec toutes les tracasseries que ce moyen de locomotion engendre. Nul n'en est exempt. Car même les personnes nanties, possédant une ou plusieurs voitures, ont emprunté dans leur jeunesse un de ces camions ou en ont entendu parler.
Par une matinée ensoleillée de ce début du mois d'octobre, au rond-point de la place du marché de Pétion-Ville, des jeunes et des adultes attendent impatiemment une occasion pour se rendre soit à l'école, soit au travail. Soudain, apparaît un bus à moitié occupé. Commence une bousculade indescriptible. Chacun veut forcer l'entrée pour trouver une place dans ce car aux fauteuils troués.
D'aucuns passent par la fenêtre et s'y installent, quitte à rester debout, accroupis ou assis à même le sol. Peu importe. L'intérieur est visiblement mal entretenu. On y trouve des bouteilles en plastique vides, des sachets, des miettes de toutes sortes. Un individu transportant de la ferraille encrassée se retrouve aux côtés de personnes se rendant à un enterrement. Ceux qui ont pu franchir ce cap, grâce à leur force physique, ont, auparavant, chiffonné leurs beaux vêtements et sali leurs souliers ou ceux d'autres passagers. La température peut frôler les trente-cinq degrés centigrades dans ces espaces.
Sur la route de Carrefour, à la sono tonitruante des quatre roues aux couleurs bigarrées s'ajoutent les bouchons interminables, sans oublier la route de Martissant, qui se transforme par moments en rivière les jours de pluie battante. Les autres axes ne sont pas foncièrement différents. Voilà une carte postale peu reluisante du transport public, prise sur le vif.
En général, le nombre d'occupants à bord de ces cellules roulantes n'est pas respecté. Et pourtant, la surcharge est une infraction sujette à une contravention de la police. Les contrevenants sont pénalisés comme tous les autres chauffeurs qui enfreignent les règles de la circulation. Mais la vigilance des agents de police n'est pas quotidienne, voire draconienne. C'est ce qui expliquerait la permanence de cette pratique sur nos routes. En cas d'accident, les risques sont plus dommageables pour les occupants des « tap-tap ». Mais tout le monde peut s'en apercevoir : la surcharge s'accentue au fil des ans. Les passagers, pressés, prennent volontiers le fameux "cerceau", expression signifiant la station debout. On peut difficilement comprendre que le transport public soit une équation toujours ardue. Et pourtant, le parc automobile est relativement vieux. L'Institut haïtien de statistiques et d'informatique estimait, en 2003, à quelque vingt-et-un mille le nombre de véhicules assurant le transport de passagers contre mille six-cent-quarante sept pour le transport de marchandises dans la zone métropolitaine. La population est passée d'un million d'habitants dans les années quatre-vingt-dix à deux millions avant le séisme du 12 janvier. Ces paramètres impactent négativement sur le transport en commun.
Tous les axes de la capitale et ses environs n'échappent pas à la surcharge, apanage d'une société en pleine mutation. Ce phénomène n'est pas propre à Haïti. En effet, les pays de l'Afrique subsaharienne connaissent les mêmes problèmes. Le mal est réel depuis l'existence des « tap-tap », qui remonterait probablement aux années quarante ou cinquante... Interrogée sur ce mode de transport, source de mauvaise humeur et d'agressivité, Roselène, 25 ans, qui n'a connu que des tap-tap depuis sa naissance dit déplorer que les passagers soient « entassés dans un sac et coincés dans des véhicules très mal entretenus ». Même les imposants bus surnommés « Obama », de la compagnie para-administrative, ne se dérogent pas de cette formule plutôt polémique, qui consiste à accepter les clients tant qu'il y a un endroit pour placer une jambe. Des marchands ambulants de boissons gazeuses, d'eau ou de pâtés envahissent littéralement ces autobus de luxe, dans les aires de stationnement, pour proposer leurs marchandises.
Pour le psychiatre Harrisson Ernest, directeur général du Programme Santé Plus-Haïti (PSPH), les bagarres que se livrent les passagers sont des situations difficiles, qui ne mènent pas à la solidarité mais à la division. Il attribue ces avatars à la fois au manque d'éducation des usagers et des chauffeurs de « tap-tap », en plus au fait que l'Etat ne réfléchit pas - à ses yeux - sur ce « problème de comportement, qui a des incidences sur la situation du pays ».
Non seulement ces excédents de personnes et le tapage musical peuvent agir, aux dires du psychiatre, sur le for intérieur et la santé des passagers, mais ils nuisent inévitablement au confort de ces derniers.
Fabienne, une jeune collégienne de dix-sept ans, rencontrée dans un omnibus, prend le problème avec plus de philosophie : « Tous les Haïtiens n'ont pas de voiture particulière. Mais le transport public est une bonne chose. Il facilite le voyage. On ne peut pas parcourir des kilomètres à pied. » Réagissant aux querelles fréquentes qui opposent clients et automobilistes, Fabienne pensent que les chauffeurs doivent gérer leurs passagers et respecter le nombre de places disponibles. Les autocars et « kamyon bwat » qui sillonnent les routes de la province ne sont pas en reste. Ils rivalisent d'imagination et accueillent volontiers des passagers sur leurs carrosseries. Au même titre que les conducteurs des deux roues rencontrés sur les routes caillouteuses de l'arrière-pays. Dans la région métropolitaine, l'apport des motos-taxis dans la production du transport public était de 237,4 millions de gourdes en 2004-2005, soit 1,9 % de la production totale, selon l'IHSI.
Selon toute évidence, la situation dans le transport en commun n'a pas fini de faire des vagues. On est encore loin du jour où les tickets de bus seront vendus de manière ordonnée et permettront aux passagers d'éviter des situations inconfortables. Remplacer les « tap-tap » et les procédés archaïques et moins incommodants par d'autres engins plus adaptés au bien-être des usagers ne se fera pas aussi aisément. Avec une part de production de 14,6 milliards de gourdes, on ne peut, du jour au lendemain, interdire l'utilisation de ces boîtes roulantes sur les routes. Il suffirait d'y mettre un peu d'ordre, au profit des consommateurs. Voilà qui pourrait éviter plus de frictions.
Le noeud du problème, c'est le surplus de personnes à bord de ce que d'aucuns appellent des « tombeaux roulants ». C'est un cancer qui menace la sécurité et la santé des personnes. Les tap-tap, génies imaginaires de nos artisans et attraction touristique à une certaine époque, devraient survivre, se donner des rondeurs et plus d'aération. Pour l'instant, ceux qui empruntent - même occasionnellement - ces machines, petites ou grandes, savent mieux que quiconque combien elles sont inconfortables et inadaptées aux attentes de ses occupants. Surtout quand elles sont surchargées.
Mais, étant donné les emplois que génère ce secteur, il serait judicieux de rappeler aux automobilistes en général qu'ils prennent des risques en entassant des humains au profit du gain... et d'appliquer sans a priori les mesures coercitives qui s'imposent à l'encontre des récalcitrants. Le service de la circulation pourrait, comme dans un passé récent, faire des campagnes de sensibilisation dans les médias.
Belmondo Ndengué
Commentaire
Y aurait-il quelque réaction autre que d'approbation face à ce constat malheureux? Une capitale ou les gens viennent de leur patelin parfois n'ayant que leurs deux bras, laissant derrière eux un niveau de vie supérieur à ce qu'ils vont trouver dans ce Port-au-Prince ou rien n'est gratuit malgré la qualité déplorable de tout. C'est vrai qu'on n'offre aucun service digne de ce nom dans les villes de province, c'est vrai que les parents se creusent le méninge pour offrir un environnement prometteur à leurs progénitures. Mais la convergence de ce raisonnement est telle que la cécité s'en mêle aussi. Port-au-Prince ne sera jamais jamais une ville habitable, décente si des mesures drastiques ne sont adoptées pour transformer radicalement ce qui existe actuellement. Et pour en arriver à, il faut obligatoirement des gens qui gouvernent et qui le font avec sérieux, honnêteté, fermeté et ambition. Le gouvernement que ce pays n'a jamais connu, quoi.
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